Omar l'a tuée

Vérité et manipulations d'opinions. Enfin une information contradictoire sur l'"Affaire Omar Raddad".
«En 1894 on condamnait un jeune officier parce qu’il avait le seul tort d'être juif ; en 1994 on condamnait un jeune jardinier qui avait lâchement tué une femme âgée sans défense. En 1906 Alfred DREYFUS fut réhabilité alors que Omar RADDAD est un condamné définitif. Un était innocent, l'autre est coupable ». - Georges Cenci

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Vergés et le massage tripatouilleur

Me Jacques Vergès était le 19 janvier dernier invité par l'ordre des avocats de Toulouse à donner une conférence à l'Université Toulouse 1 sur le thème de la passion de défendre. Après ses commentaires sur l'actualité et sa conception du métier d'avocat, il évoquait l'affaire Omar Raddad.

JV2012.jpgIl n'est pas surprenant, ayant été discret lors du procès, qu'il s'en prenne une nouvelle fois aux magistrats ayant jugé Omar Raddad en déclamant que « si l'initiative – des citoyens assesseurs en correctionnelle – était démagogique au départ, on s’apercevait que les gens ne sont pas aussi cons que ça (sic). Au procès d'Omar Raddad, les jurés étaient majoritairement pour l'acquittement. Les juges les ont travaillés au corps pendant six heures pour arracher la culpabilité. Ça a été un deuxième procès mais sans la défense. »

Ces nouvelles élucubrations oh combien pleines d'éloquence et de finesse de langage ne mériteraient que mépris et indifférence mais je préfère soumettre le fond de mon propos à ceux qui ne pensent pas nécessairement comme l'adorateur de Klaus Barbie ou de Pol Pot

La plupart du temps taiseux dans le prétoire – selon certains comptes-rendus de presse – mais oh combien brillant dans la salle des pas perdus de la cour d'assises de Nice et dans les médias qui le courtisent, le revoilà, lui qui a été par la suite évincé de la défense de Raddad, avec sa ritournelle éculée sur les jurés manipulés par les magistrats. Mais là où Vergés à raison c'est son appréciation sur les "gens", ils ne sont pas tous "des cons" mais il faudrait vraiment l'être pour croire à toutes ses balivernes !

Travaillés au corps pendant 6 heures pour arracher la culpabilité ! Les vilains magistrats ! Et affirmation péremptoire mais dénuée de sens selon laquelle les jurés étaient "majoritairement" pour l'acquittement. Mais bien sûr Monseigneur ! Le délibéré n'est-il pas secret et encadré par la loi ?

Voici d'ailleurs un extrait de mon ouvrage où j'évoquais cette manipulation de l'opinion publique :

« Si l’on s’intéresse à cette affaire, se remarque une stratégie post-judiciaire à travers des campagnes et des pressions médiatiques cycliques. A la harangue de Me Vergès dans la salle des pas perdus du palais de justice de Nice dès le prononcé de l’arrêt de condamnation, suit l’article de VSD sur la prétendue manipulation des jurés pendant la délibération, par le président Djian. Cet hebdomadaire, dans son édition du 10 au 16 février 1994 publie un article relatant les propos qu’un de ses journalistes, Antoine Casubolo, aurait recueillis auprès de plusieurs jurés. Ceux-ci se seraient notamment indignés des conditions dans lesquelles s’était déroulé le délibéré, dénonçant "l’ambiance anti-Omar" ou encore les pressions exercées plus ou moins directement par le président ou l’un de ses assesseurs pour parvenir à une condamnation de l’accusé. Le contenu de cette chronique pouvant laisser craindre que le secret des délibérations n’avait pas été conservé conduit le procureur de la République de Nice, le 28 février 1994, à ouvrir une information judiciaire contre inconnu du chef de violation du secret professionnel. Les neuf jurés étaient entendus par un magistrat instructeur. Deux d’entre eux déclaraient avoir éconduit un journaliste qui les avait joints téléphoniquement à leur domicile après le procès et tous démentaient, avec fermeté, avoir trahi leur serment. Après communication de la procédure, le procureur de la République de Nice prenait des réquisitions supplétives de publication, complicité de publication et diffusion de mauvaise foi, de nouvelles fausses, mensongèrement attribuées à des tiers, ayant troublé la paix publique.

Au cours de l’instruction, dans un arrêt du 1er décembre 1994 la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence précisait notamment :

« Le journaliste lors de son interrogatoire de première comparution confiera qu’il n’avait pu joindre les neuf jurés ayant siégé dans l’affaire Raddad ». A l’issue de l’information judiciaire, le juge d’instruction rendra... une ordonnance de non-lieu. Que retiendra l’opinion publique ! L’annonce médiatique de l’ordonnance ou la prétendue pression exercée par le président ? ».

Déjà en 1993, après avoir sorti de son fonds de commerce son couplet sur le prétendu racisme, son refrain sur l'enquête bâclée et à charge, il entonnait la rengaine de la manipulation des jurés ; caricatures évidemment éhontées et outrageantes auxquelles j'oppose la vérité d'un président intègre, Armand Djian, qui, le 4 février 1994, lors d'un nouveau procès aux assises de Nice qu'il présidait après la condamnation de Raddad déclarait, je cite :

« Le président de la cour d’assises, tenu comme tout magistrat à son devoir de réserve et comme tout citoyen au respect du secret des délibérations de cette juridiction, n’a pas à se mêler à des débats extérieurs et polémiques relatifs aux décisions qu’elle prend.
Je rappelle, pour ceux, auxiliaires de justice ou non, qui auraient tendance à les méconnaître, les dispositions d’ailleurs affichées à la porte de cette salle, de l’article 226 du Code pénal et ainsi conçues (citation de l’article) - J’ajoute que des propos aussi graves que déplacés et inconsidérés ont été proférés récemment sur le seuil de ce palais de justice et ont été diffusés au-delà - et qui ont eu pour objet d’offenser gravement et de tenter de déconsidérer les magistrats et les jurés populaires qui concourent ici, en toute conscience, objectivité et indépendance et dans le plus profond respect des droits de l’homme à l’œuvre difficile mais nécessaire de justice - à laquelle ont droit les accusés et les victimes d’infractions. Je rappelle si besoin est, que le racisme est banni de cette cour d’assises tout autant que l’utilisation perverse de ce terme dont se servent parfois ceux qui oublient ou feignent d’oublier que les justiciables quelles que soient leurs origines, cultures, appartenances sociales, ethniques ou raciales, sont et demeurent strictement égaux devant la loi et la justice, sans faire l’objet ni de préjugés ni de privilèges. J’assume dans cette salle la direction des débats et la police de l’audience qui relèvent de mes responsabilités. Je laisse le soin, au-delà de cette salle, à ceux, à quelque titre que ce soit, qui ont la charge de faire respecter l’ordre public et la tranquillité des citoyens, de tirer comme ils l’apprécieront les conséquences et de prendre les mesures qu’impliquent la violation de l’article 226 du Code pénal – (code pénal nouveau - article 434-25) – et des règles destinées à assurer l’indépendance et le respect des jurés populaires et des magistrats qui concourent et continueront à concourir en toute dignité, indépendance, conscience et sans complexe, au fonctionnement de cette juridiction. »

Et comment ne pas approuver ce même président quand il déclara dans les colonnes de Nice-Matin, je cite :

« La cour d’assises est un lieu de travail où magistrats et jurés, après avoir été informés des éléments de l’affaire par les débats oraux et contradictoires aux audiences, et par l’audition des thèses des parties civiles, de l’accusation et de la défense, prendront leur décision dans la sincérité de leur conscience après une délibération secrète - Cette décision n’a pas à être dictée ou influencée par l’opinion ou les opinions dites publiques, qu’elles se manifestent dans la rue, autour du palais de justice ou par la voie de presse écrite, parlée ou audiovisuelle dont nous respectons bien entendu par ailleurs la liberté d’expression - Il conviendrait de se souvenir qu’un procès et un verdict de cours d’assises ne sont ni un référendum ni une campagne de sondage d’opinions. Dans notre législation, c’est à douze femmes et hommes réunis par le sort qu’il revient de représenter, dans le procès d’assises, le Peuple français, au nom duquel est prononcée leur décision, prise aux majorités légales - Il ne leur est pas permis de commenter et d’expliquer ce verdict ni de se mêler aux campagnes de polémiques publiques ou privées que certains peuvent créer ou entretenir à ce propos - Quant à ce que l’on entend par preuve et administration de la preuve en matière pénale, beaucoup en parlent avec aplomb et quelquefois à tort et à travers, à l’extérieur sans se préoccuper le plus souvent de se référer aux dispositions légales qui les définissent (...) de même que la notion d’autorité de la chose jugée paraît trop souvent absente des réflexions de l’extérieur. »

Devant son auditoire toulousain, certainement ébahi, Vergés considérait la délibération du jury comme un deuxième procès sans la défense ? Je ne voudrais pas trop ironiser mais cette défense n'avait-elle pas été durablement et quasiment absente pendant ledit procès ? C'était en tout cas ce que considérait Maurice Huleux dans Nice-Matin, qui parlait d'une défense douce, enrobée, presque consensuelle. Vergés allait se procurer une occasion de rattraper son oral devant la Cour de révision des condamnations pénales. Hélas, le brillantissime avocat s'est trouvé à nouveau défait à plates coutures par son confrère Me Georges Kiejman et par Laurent Davenas, l'avocat général qui s'opposait à la révision et qui n'avait pas été tendre pour Vergés et ses méthodes, ironisant à propos de sa "communication de propagande".

Et demain que va-t-il trouver à redire lorsqu'une décision en correctionnelle ira à l'encontre des espoirs insufflés à son client : assurément ces citoyens auront été "travaillés au corps" par les juges professionnels ! Mais peut-être conviendrait-il d'écrire "massés" au lieu de travaillés car les délais de réflexion en correctionnelle sont généralement moins longs qu'aux assises.

A moins qu'il ne finisse – il serait grand temps ! – par réaliser que ces jurés auront été bien moins "cons" (re sic) que la défense ne l'escomptait... !

Georges Cenci

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